mercredi 18 avril 2012

Intellos précaires ou les prolos du savoir


             Je suis une intello du dessous. De ceux qui grillent des neurones, qui lisent des giga-octets de livres, de magazines, de pages web, de tracts, de pétitions et n’en ressortent jamais rien. Comme une machine qui consommerait un maximum de pétrole uniquement pour entretenir sa surchauffe, l’intello du dessous consomme un maximum de facultés intellectuelles... en pure perte !

                Un intello précaire c’est quoi ? Un OVNI social : cette masse de pigistes, auteurs, nègres, salariés en contrat à durée déterminée, en contrat emploi-solidarité, chercheurs indépendants, professeurs vacataires, infirmières sans hôpital fixe, et j’en passe… Un mutant sous-payé, qui pour survivre doit cumuler plusieurs emplois. Et, comme tous les précaires, il échappe à toutes les classifications. L’évolution du travail dans les secteurs de la presse, de l’édition, de la recherche, de l’Education et de la culture en fait une figure incontournable.
Et les derniers constats sont accablants : la précarité de cette « nébuleuse de travailleurs de l’intellect qui partagent un certain sort dans le monde du travail contemporain » s’est aggravée. Bien sûr les syndicats et les partis de gauche ne se sont toujours pas vraiment emparés du sujet.
L’intello précaire est en somme excessivement libéral et excessivement marginal.
Excessivement libéraux pour les analystes de gauche car ils se livrent à une concurrence sauvage dans un environnement largement déréglé, excessivement marginaux pour les analystes de droite qui voient en eux d’abord des opposants à la sacro-sainte culture d’entreprise. L’intello précaire, c’est la victoire du libéralisme, le rêve du Medef. Mais c’est aussi une des plus belles preuves de la survie de l’individu devant la barbarie libérale : L’intello précaire est une excroissance du système en même temps qu’un antidote. Saviez-vous que 50% des RMIstes parisiens exerçaient une activité artistique ou intellectuelle ?

                 L’intello précaire est un travailleur hard-discount. Il est auteur, éditeur en free-lance, journaliste pigiste, correcteur, nègre, photographe, enseignant non-titulaire, doctorant sur-diplômé partant exercer à l’étranger. Bien souvent, il cumule plusieurs de ces « statuts ».

Il ne connaît pas les RTT, les remboursements de frais, les congés payés, les tickets resto, ni les arrêts-maladie, et ne les connaîtra plus jamais. Obligé d’avoir plusieurs activités en même temps, il est harassé par le travail mais ne gagne pas plus. Une démonétisation qui s’apparente à un vrai choix de société. Tout comme une tendance croissante à l’externalisation. Travailler plus pour gagner plus se transforme dans cette classe sociale en travailler plus pour gagner moins.

L’intello précaire travaille pour garder du travail. Il a parfois des fréquentations mondaines, un sérieux prestige, une force d’abattage remarquable, et un style de vie apparenté bobo.

L’intello précaire est passionné, dopé à la survie. Il croit en la connaissance par le style, le goût, le courage et la distinction. Mais quand un intello précaire rentre seul d’un dîner en ville, il ne dort pas : il travaille. Sacrifier tout, ou au moins beaucoup de leur passion, au métier qu’ils aiment, c’est le choix de nombre d’entre nous.
Parmi les secteurs concernés, la presse bien sûr. Pour les journalistes, les critères d’obtention de la carte ne sont pas accessibles à ces extra-terrestres. En effet, la majorité des revenus doivent être issus de la presse paritaire, celle qu’on trouve en kiosque et en ligne, ce qui exclut de fait ceux qui sont obligés d’avoir une autre activité pour vivre. Dotés de tous les outils théoriques nécessaires, habités d’un vif intérêt pour la marche de la société en général, ils sont des analystes très compétents de leur propre situation – d’autant plus que certains ont l’habitude de travailler sur la précarité : un magazine comme Les Inrockuptibles, notamment, qui a trouvé là un créneau éditorial jeune et branché, fait réaliser ses dossiers par des légions de pigistes payés au lance-pierre, voire pas payés du tout.
De très nombreux pigistes doivent en effet recourir à d’autres métiers pour compléter leurs revenus : romanciers, correcteurs ou lecteurs dans l’édition, avoir recours à une activité au noir, travailler dans l’évènementiel, ou bien nègres littéraires. Des activités qu’ils ont obtenues en étant repérés… par leur travail journalistique ! La liberté obligée devient liberté “choisie”. Car si le choix n’en est que relativement un, il enseigne une nouvelle manière de voir le travail, l’entreprise, l’institution, l’argent, le statut.
Le revers de la médaille : ce genre de journaliste doit travailler vite et bien. Mais les enquêtes, les sujets approfondis, une approche sereine du temps de préparation, la lecture d’un livre par jour en moyenne (dans mon propre cas), sont inconciliables avec ce « vite et bien », qui convient mieux à un sprinter du 100 mètres qu’à un travailleur du cerveau. Un journaliste doit suivre le feu de l’actualité, mais le sérieux de son travail repose aussi sur la distance qu’il établit, dans son papier, entre l’actualité et la vérité, le réel et le compte-rendu du réel. Pour un pigiste, le compte ne sera jamais rendu. A lui de faire qu’il soit bon.

Ce qu’un journaliste précaire apprend sur lui-même : une nouvelle approche des notions de travail, de sérénité, de vie privée, d’espace-temps, de santé, l’importance du sport. Le pigiste subit de plein fouet la contradiction de la crise du secteur : vu la multiplication des pigistes, il a plus de chances d’avoir des sujets à réaliser, sans participer autant qu’avant -faute de temps, car il doit travailler pour plusieurs publications- à la vie rédactionnelle et interne de ses journaux.

Par ailleurs, le coût social considérable de la gratuité revendiquée sur le web, et le fait qu’il n’y a d’autres moyens pour le moment que d’avoir recours aux statuts vulnérables et au bénévolat, est un facteur supplémentaire favorisant cet état de fait.

Même le Syndicat national de l’édition (SNE) ne peut fournir les chiffres des « travailleurs externes » de l’édition : correcteurs, éditeurs en free-lance... Au final, pour les auteurs, l’identité du plus brutal employeur de précaires en France est claire : l’Etat. Par exemple, aucune entreprise ne peut légalement faire travailler une personne durant seize ans sans lui proposer un CDI. Sauf l’Etat.

Diplômés et sans statut, voici les intermittents de la culture. Ils sont jeunes (ou pas), diplômés, voire surdiplômés et, particularité notable, enchaînent sans relâche stages, petits boulots et contrats à durée déterminée. Ils, ce sont les nouveaux intermittents de la culture. Un même mouvement inquiétant semble en marche partout : la baisse quasi constante du prix du travail dans les secteurs intellectuels et culturels. Une démonétisation qui s’apparente à un vrai choix de société. Tout comme une tendance croissante à l’externalisation. Journalistes, chercheurs, sociologues, correcteurs, éditeurs, historiens ou plasticiens, ils exercent les mêmes fonctions que leurs confrères, mais ne jouissent pas du même statut.

Inconnus des sociologues établis et, paradoxalement, de plus en plus nombreux, ils sont sortis de l'anonymat Pour parer au plus urgent et assurer les fins de mois, un système parallèle se met en place: l'intello précaire active son réseau - souvent constitué d'autres précaires - et cela fonctionne parfois. Les syndicats continuent de ne rien voir. Et les employeurs s'en donnent à cœur joie.
A preuve, le CNRS, après lecture de leur ouvrage traitant du sujet, a proposé à Anne et Marine Rambach de travailler sur ce nouveau phénomène de société. Bénévolement. 

mercredi 11 avril 2012

La précarité à la télévision: de qui se moque-t-on?

La précarité et la crise du logement : deux graves sujets de société, habituellement exponentiels de l’actualité ces dernières années. Au travers de talk-shows divers, le petit écran s’en préoccupe de plus en plus abondamment. Implication réelle ou course à l’audimat ? Les ingrédients pour un « charity business » réussi sont toujours les mêmes : larmes, identification, mise à nu intégrale de l’intime. Ces programmes sont affligeants. Une telle médiatisation ne cherche-t-elle pas à faire perdre à ces personnes le peu de dignité qui leur reste ?
Depuis quelques temps, la télévision s’est autoproclamée promotrice de grandes manifestations caritatives : le Téléthon, Les Enfoirés, Sidaction,… Autant d’émissions poursuivant un même objectif : la récolte de dons pour des œuvres caritatives. La précarité est un sujet moderne. Un thème qui fédère. Super. Je n’ai rien à redire. Si ces émissions permettent formellement de soutenir des gens dans la nécessité, il n’y aurait nulle logique de s’en passer.  Mais – car il y a un mais – à la télévision, les dérives font légion. Depuis 2008 –le début de la crise – l’instabilité économique de la société est de plus en plus exhibée sur nos écrans, aucune chaîne n’y échappe. Là où les choses se compliquent, c’est au moment où l’on se met à parler de précarité dans les « talks-shows », ces émissions de divertissement durant lesquelles un animateur se consacre à un sujet bien précis avec ses invités. Les manifestations de type « Téléthon » ont pour objet d’aider les indigents en leur donnant de l’argent. Soit. Mais qu’en est-il des buts d’un talk-show ? La précarité est abondamment reprise dans ces émissions de divertissement : l’ancienne émission « Ça se discute » de Jean-Luc Delarue sur France 2, « Tous ensemble » sur TF1, « Zone Interdite » sur M6, … Il est dès lors compliqué de ne pas songer aux dividendes et à l’utilité de faire de l’audimat, deux objectifs qui règnent en maître dans toutes les grandes chaines. Car il ne faut pas le taire, la télévision est une institution poursuivant une issue très précise : engendrer du bénéfice. Et tout est pensé en fonction de cet objectif.
Raymonde vient raconter son histoire sur le plateau, et tout le monde chiale
Dans la majorité de ces productions, le principe est élémentaire : il s’agit de faire sangloter les invités en direct pour sensibiliser les téléspectateurs à l’ascension de la précarité. Ces invités sont triés avec soin : ils ne sont ni trop âgés, ni trop vilains, ni trop sans-logis non plus, ni trop abîmés. Le champ est bien déterminé. Accompagnés de leurs récits, ils doivent parvenir à émouvoir la quantité le plus étendue de téléspectateurs possible. Fréquemment, Raymonde nous parle de ses quatre gamins et de sa caravane qui brinquebale sur une roue… et tout le monde chiale. Pauvre Raymonde. Elle n’a pas une existence simple… Et Raymonde de s’étaler sur ses conditions de vie pénibles, sur son compagnon qui l’a abandonnée à la naissance du cadet, et sur sa profession qui ne la laisse récupérer que quelques instants chaque nuit. Raymonde est effectivement à plaindre. Mais doit-elle nécessairement faire part de ses difficultés au travers d’un talk-show ? Se rend-elle compte des effets que peut avoir la médiatisation ? La télévision lui offre de regagner une dignité oubliée en exposant ses maux aux yeux de tous, étonnant non ? Elle la plonge surtout fondamentalement dans l’avilissement.  Comme Raymonde, le commun qui accepte de venir témoigner le fait sans ambiguïté, en toute sincérité. Cette femme vient dans l’attente d’accomplir une utopie, d’obtenir un soutien psychologique, pécunier  ou affectif. Face à cela qu’est-ce qui motive réellement les concepteurs et présentateurs de telles retransmissions ? Sont-ils exactement dirigés par le désir de secourir ? Il n’est pas compliqué d’en sérieusement douter puisque la télévision court surtout après l’audience. Dénoncer le dénuement pour gagner de l’argent… Quel paradoxe !
Divulgation de l’intimité: les intervenants  se livrent dans les moindres détails
Les émissions de ce type se fondent toutes sur le même dispositif : le public fait connaissance avec quelques individus  sur le plateau. Suite à des accrocs de la destinée, ils ont trébuchés dans un grand dénuement et, la gorge étranglée, ils viennent exhiber leurs peines sur le devant de la scène. La télé fait alors appel aux pleurs, s’enlise piteusement dans le pathos. L’animateur interroge – couramment d’interrogations d’un goût plus que douteux – et les aveux pathétiques s’enchaînent. Les gros plans sur les yeux écarlates ne ratent pas. Pour que l’audimètre soit élevé, les témoins doivent s’exposer avec un faste de détails intimes sans pareil. Car de nos jours  les médias divulguent l’intime. Il faut inlassablement plus d’images et de confidences. Sous l’endoctrinement de la télé-réalité, les talk-shows s’imaginent à présent soumis à s’orienter vers des sujets plus proches de l’intime ou de la simple nudité. Mais les témoignages ne contentent plus. Les caméras infiltrent  les sphères privées et offrent d’authentiques reportages. Ils s’insinuent au cœur de l’infortune des gens et mettent en scène les malheureux présents sur le plateau. Ce qui importe, c’est d’exhiber des visages, des cas appropriés, des parcours solitaires, pour que le spectateur puisse se reconnaître au travers de ces tragédies. Le présentateur n’a jamais recours aux statistiques ou autres données fiables et les réponses collectives sont prohibées. Ces chroniques sont inévitablement escortées de ralentis et de musique pompeuse. Et les cœurs sensibles que nous sommes sont émus par tant de pauvreté. Pauvre Raymonde…
Des comédiens et des reportages falsifiés?
Couramment, ces immersions dans la vie – exposées comme patentes – se confirment être le fruit d’importantes scénarisations. Des cas de recours à des personnages fictifs ou semi-fictionnalisés y ont parfois même été attestés. Cela laisse présumer que les reportages corrompus sont, en évidence, plus nombreux qu’on ne le soupçonne… Néanmoins le public convole, à la fois voyeur et exhibitionniste. Voyeur, car il contemple , se délecte de sa chance en comparaison de cette pauvre Raymonde à la télévision. Exhibitionniste, car certains êtres n’hésitent pas à venir révéler leurs conditions ou difficultés de vie. Strip-tease pour le moins méprisable…
Des numéros de téléphone surtaxés
De retour sur le plateau, l’animateur finit alors d’achever les meilleures volontés en posant des questions plus qu’indiscrètes. Et là, tout le monde fond. Cette mise en scène n’est-elle pas au plus haut point avilissante pour les individus que l’on expose de cette manière ? Les téléspectateurs, amollis et charitables, ne sont-ils pas grugés aussi ? L’un de ces programmes était escorté d’un appel à la solidarité téléphonique. Durant celle-ci, les téléspectateurs pouvaient appeler un numéro de téléphone surtaxé pour offrir leur soutien aux personnes en situation d’infortune, présentes sur le plateau. En fait, ces émissions  créent une sorte de faux semblant, comme une histoire, un conte de fées contemporain : la perception que tous les problèmes seront réglés d’un simple coup de baguette magique. Or c’est tout naturellement chimérique… En résumé, dans notre société dite de consommation, le miroir aux alouettes ne devient-il pas calife à la place du calife ?

Vivre avec un historien d’art indépendant: mode d’emploi

Vous avez rencontré sur votre chemin un historien d’art indépendant et vous aimeriez en savoir plus sur cet étrange  « Indiana Jones » des temps modernes, aussi énigmatique que sa drôle de dégaine le laisse entrevoir. Époux, épouses, amoureux, amoureuses, partenaires de PACS, amis, copains, voisins, illustres inconnus croisés dans la rue, c’est à vous que je m’adresse. Voici un petit guide pour mieux déchiffrer, autant que cela soit possible, le mode de vie et les besoins de cet extra-terrestre.
Tout d’abord comprenez bien que ce billet considérera exclusivement de l’historien indépendant. Inversement proportionnel à son homologue fonctionnaire, l’indépendant est un loup perpétuellement à la recherche d’une occasion de gagner sa croute, mais nous y reviendrons…
Travail
Alors que vous partez au bureau, l’air serein du salarié qui sait déjà comment va se dérouler sa journée, à quelle heure elle va se terminer et que votre seule préoccupation est d’ouvrir le deuxième œil avant de franchir le seuil de votre entreprise, lui est déjà assis à son bureau devant son ordinateur. Quand vous revenez du travail après une dure journée de labeur formatée, lui est toujours assis devant son ordinateur. Alors que vous avez enchaîné réunions, besogne et déjeuner d’affaires, l’historien vous donne le sentiment que le temps s’est arrêté chez lui. Non, non, ce n’est pas le cas ! Simplement, il vous faut comprendre que l’historien dispose d’une singulière aptitude à passer de nombreuses heures à la même place. En fait, son milieu naturel est entièrement maximisé en fonction de ses obligations : clavier et souris superergonomiques, écran configuré de sorte à ne pas épuiser la vue ou ses lunettes à plusieurs foyers, siège datant souvent d’un autre siècle et dont le confort optimum est inspiré des instruments de tortures médiévaux (avouons-le l’historien est par essence un peu maso), ordinateur puissant, table de travail aux proportions excessives… L’historien a su aménager son terrier pour y passer de longues heures. Et puisque nous en parlons, de quelle façon les comble-t-il ?
Au moment où vous quittez votre domicile, lui va accomplir le premier geste de sa journée de labeur: faire du café. Après, son sempiternel mug à portée de main, il s’assied à sa table, dont le fourniment ne laisse rien à la chance. Étudions son milieu naturel: le siège sur lequel il prend place a surement fait l’objet d’une longue recherche. Si, si ! Imaginez les heures entières qu’il a immanquablement  passées dans les brocantes et dépôt-ventes de toutes sortes à chercher la perle rare, celui qui livrera l’inspiration, qui est suffisamment inédit tout en s’accordant idéalement au reste de sa décoration quasiment étudiée, et fondamentalement celui qui semble vouloir relater son histoire… pour en définitive opter pour la chaise  qui est déjà sur place, celle en formica qui traine dans un recoin car la perle rare sur laquelle poser son séant honorablement fera, gageons-le, partie d’une des grandes quêtes insolubles de sa vie. Et tant pis pour ses lombaires ou ses cervicales coincées, son dos voûté et ses fesses douloureuses. Il allume son ordinateur et classe ses notes, ordonne ses livres, empile ses documents, sa check list à portée de vue, les photos qu’il a découvertes ou prises non loin de là, saisit sa souris spécialement prévue pour lui éviter un syndrome du canal carpien et commence par lire ses e-mails, puis passe en revue ses abonnements RSS, ses journaux favoris, se connecte à MSN, etc. Cela peut paraître paradoxal, mais pour quelqu’un qui sort peu de chez lui, le chercheur est souvent très bien informé ! Mais rarement de l’actualité commune… Ne vous leurrez pas ! Ce n’est pas parce qu’il est capable de vous exposer chaque minute de la dernière expérience de datation au carbone 14 ou vous expliquer  la mise à jour de la charte d’éthique concernant la conservation préventive de l’UNESCO que cet animal aux yeux rouges n’a rien fait de sa journée, bien au contraire. Le chercheur est un individu multitâche capable d’écouter le dernier colloque au sujet de la refonte du système institutionnel de recherches universitaires, de lire les mises à jour de son compte Facebook, tout en négociant sa prochaine pige alimentaire et en avançant dans son analyse iconographique en cours, sa tasse caféinée à la main. Une simple question d’habitude !
Il peut arriver que vous le surpreniez à parler tout seul durant un long moment. Pas d’affolement, n’appelez pas l’hôpital psychiatrique le plus proche : pour protéger le flux incessant de ses réflexions d’une surchauffe intellectuelle mal venue, l’expert a fini par prendre l’habitude d’exprimer ses pensées à haute voix, de spéculer en mode sonore, de dialoguer avec lui-même, car la parole, c’est bien connu, n’ira jamais si vite que son encéphale véloce !
Parfois, le besoin de recherches sur le  terrain l’amène à sortir de chez lui. Quitter son ordinateur, ses bouquins et prendre le risque de rencontrer des gens bien en vie ? En chair et en os ? Pas de problème, notre aventurier des temps modernes a dans son cabas un appareil photo, un caméscope, un carnet de notes, un téléphone portable, une barre multivitaminée, des bottes à bout renforcé, un plan détaillé, une boussole, une thermos de café, ses lunettes de vue, de soleil, de l’écran total, un exemplaire de la vie des peintres de Vasari, un autre d’ E. Panofsky ou F. Villon suivant l’humeur, savant panachage lui permettant de survivre en milieu hostile pendant au moins quelques heures où qu’il se trouve.
Un travailleur acharné, le chercheur en art ? Heureusement, non. Il a aussi des congés et une vie sociale !
Loisirs
Si vous ne deviez vous souvenir que d’une chose sur ce qu’est l’historien indépendant, c’est que c’est un individu insatiable de savoir. Quoi de plus évident, tandis qu’on passe l’essentiel de sa vie à se documenter pour mieux interpréter ? Aussi, même dans ses loisirs, l’historien a une propension à être un geek. Qu’il pratique le volley-ball, la danse orientale, qu’il joue au backgammon ou se passionne pour le scrapbooking, le chercheur s’est informé sur l’activité qui ’adopte. L’amateur de gastronomie sera chevronné pour vous livrer la date à laquelle est sorti le premier viandier et qui était Taillevent, le skieur patenté est évidemment au courant du nom de l’inventeur  et du contexte historique des premiers skis, de tous les perfectionnements qu’ils ont obtenu au cours des années, et je ne vous parle pas du cinéphile ! Le pire, c’est peut-être de sentir avec quelle aisance l’astre dément que vous côtoyez est parvenu à s’attribuer ces connaissances, comme si c’était une évidence : « ben quoi, tu ne savais pas que le mascara c’était de la poudre d’antimoine au départ ? » dira l’adepte de cosmétiques, prête à professer l’histoire du maquillage aux vendeuses de Sephora.
Vie sociale
Fort heureusement, l’historien a quand même une vie sociale. D’abord, il y a ses proches, les copains et la famille. Si ce sont des relations de longue date, ils sont généralement familiarisés aux comportements insolites chercheur et savent qu’il est capable de relater l’histoire de la galette des Rois dans toutes  les régions de France (ou plus si affinités) à toute la famille assemblée pour l’épiphanie ou qu’il est le seul à arborer un ordinateur en congés pour écrire quelques pages pendant que les autres se reposent… Si ce sont des connaissances récentes, l’expert se dévoilera souvent à l’écoute de ses semblables humains. Eh oui, car sa profonde curiosité fait qu’il a perpétuellement l’air passionné par les gens qu’il rencontre, particulièrement s’ils ont une profession principalement artisanale, d’expertise ou artistique, pleine de techniques à connaitre et à creuser. Il ira encore de temps à autre jusqu’à laisser sa carte, on ne sait jamais, la vie est une opportunité de réseau. Quelquefois, il ne peut s’empêcher d’exhiber sa culture. De ce fait, si vous passez une soirée entre amis, proscrivez les quiz et autres Trivial Pursuit ! Après cinq victoires successives, plus personne ne désire jouer avec lui.
Le soir, en rejoignant son domicile, ce cher amour ne cesse de bassiner tout ce qui bouge et porte oreilles sur cette conférence formidable au sujet de l’emploi de l’hermine dans la peinture al fresco au 16 ème siècle, de vous décrire les individus vieux de plusieurs siècles qu’il a rencontrés au détour d’un manuscrit ou d’une base de données, de promettre de vous présenter in situ le dernier débris du chevalet de ce peintre ignoré de tous mais qui a toutefois une importance irréfutable aux yeux de la science et de vous rapporter tous ces bons mots et autres jeux d’esprit de coupeurs de cheveux en quatre que vous ne saisissez pas. Soyez magnanime et à défaut de comprendre son exaltation, faites au moins mine de vous y intéresser ! N’oubliez pas que lorsque vous, vous avez passé une semaine complète avec des collaborateurs que vous ne désireriez surtout pas croiser en plus le weekend, l’historien d’art, lui, n’a vu personne (sauf des morts, des tombes et des livres et encore des bases de données). Comprenez-le, pouvoir retrouver des gens qui vivent dans le réel, pour converser d’un sujet qui le passionne (qui a dit qui n’intéresse que lui ?), c’est un peu comme aller à Disneyland ! Et le plus beau, c’est de sentir avec quelle fièvre il tentera de vous persuader de la majesté de la dernière réforme du code des usages au 17 ème ou d’aller voir un film d’auteur sur la vie de Pieter Bruegel sous-titré en scandinave.
Époux, épouses, amoureux, amoureuses, partenaires de PACS, amis, copains, voisins, illustres inconnus croisés dans la rue, voici donc une ébauche de l’ordinaire de votre historien d’art indépendant préféré, fait de transcriptions, de culture, de révélations, de solitude et très souvent d’humour. Ce martien est un passionné et un exalté, mais n’est-ce pas là très exactement ce que vous chérissez chez lui ?

Quelques conseils aux écrivains en herbe par Bernard Werber

1. – Le désir
Ecrire? Au commencement est le désir. Se demander pourquoi on a envie d’écrire. Si c’est pour faire une psychanalyse par écrit (et donc économiser 25 ans et 100 000 euros) mieux vaut renoncer. Si c’est pour gagner de l’argent ou avoir de la gloire, ou passer à la télévision ou épater sa maman, renoncer. La seule motivation honorable me semble être: parce que l’acte d’écrire, de fabriquer un monde, de faire vivre des personnages est déjà une nécessité et un plaisir en soi  (on peut aussi admettre comme motivation: épater une fille dont on est amoureux).
2. – Les handicaps
Le principal problème de l’écriture, c’est que c’est un acte solitaire absolu. On est seul avec sa feuille et soi même. Si on a rien à dire aux autres ni à se dire à soi même, l’écriture ne va que vous faire mesurer ce vide intérieur. Désolé. Il n’y a pas d’acte qui ne soit pas avec des contreparties. Si vous devenez écrivain professionnel «sérieux » préparez vous à passer au moins 5 heures par jour enfermé seul devant un ordinateur, une machine à écrire ou un calepin. Vous en sentez-vous capable?
3. – Un artisanat
On dit que pour réussir il faut trois choses: le talent, le travail et la chance. Mais que deux suffisent. Talent plus travail, on n’a pas besoin de chance. Talent plus chance, on n’a pas besoin de travail. Travail plus chance, on a pas besoin de talent. Vu qu’on ne peut pas agir sur la chance, mieux vaut donc le talent et le travail.
Comment savoir si on a le talent…? En général les gens qui ont le talent d’écrire ont déjà pris l’habitude de raconter des histoires à leur entourage. Ils prennent plaisir à relater des événements vécus ou lus, et naturellement on a envie de les écouter. Ce n’est pas obligatoire mais c’est un premier signe. Souvent les gens qui racontent bien les blagues finissent par comprendre les mécanismes d’avancée d’une intrigue et d’une chute. La blague est l’haïku du roman. D’ailleurs tout bon roman doit pouvoir se résumer à une blague.

4. Lire
On doit lire le genre de livres qu’on a envie d’écrire. Ne serait-ce que pour savoir ce que les autres auteurs, confrontés aux mêmes problèmes, ont fait. On doit aussi lire les livres des genres qu’on n’aime pas forcément ne serait ce que pour savoir ce qu’on ne veut pas faire.
5. Se trouver un maître d’écriture
Se trouver un maître ne veut pas dire copier, ni plagier. Cela veut dire être dans l’esprit, la liberté, la manière de développer les histoires de tel ou tel. Il n’y a pas de contradictions avec la loi un peu plus bas sur l’originalité. Lire peut vous permettre de décomposer les structures comme si on démontait un moteur de voiture Mazeratti pour voir comment c’est fait. Cela ne vous empêche pas de construire autrement une Lamborgini.
6. Accepter le statut d’artisan
Ecrire est un artisanat. Il faut avoir le goût à ça, puis l’entretenir régulièrement. Pas de bon écrivain sans rythme de travail régulier. Même si c’est une fois par semaine. Ensuite on est tout le temps à l’école. Chaque livre va nous enseigner un petit truc nouveau dans la manière de faire les dialogues, le découpage, de poser vite un personnage, de créer un effet de suspense. C’est ça l’artisanat. Surtout ne vous laissez pas impressionner par les passages des écrivains à la télévision ou les interviews de ces écrivains… Ce ne sont que des attitudes. Le vrai artisanat ne peut pas être montré là-bas. Et n’oubliez pas que ce n’est pas parce qu’un auteur passe bien à la télé ou est beau ou souriant que c’est un bon artisan. C’est juste un bon type qui passe à la télé dans le rôle d’écrivain. En général plus ils sont sérieux, plus ils impressionnent. La seule manière de savoir ce que vaut un écrivain est de le lire. La seule manière de savoir ou vous en êtes dans votre artisanat est de demander à vos lecteurs ce qu’ils pensent de vos livres.
7. L’inspiration
En fait, bien souvent, l’inspiration vient d’une résilience. On souffre dans sa vie donc on a besoin d’en parler par écrit pour prendre le monde à témoin. Par exemple quelqu’un vous a fait du mal; vous ne vous vengez pas par des actes, vous vous vengez par écrit en fabriquant une poupée à son effigie et en y plantant des aiguilles d’intrigue. A la fin le héros casse la figure à la poupée à l’effigie de votre adversaire. On dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire. Je le crois. Si on est complètement heureux satisfait de tout ce qu’on a déjà pourquoi se lancer dans l’aventure hasardeuse de l’écriture ? A la limite je conçois qu’une fois qu’on est écrivain professionnel l’écriture devienne en soi une sorte de quête du graal, du livre parfait, mais là encore c’est une frustration à régler. Donc une souffrance. Oui dans l’écriture il y a forcément une vengeance contre quelque chose ou quelqu’un. Ou en tout cas un défi à relever.
8. – L’originalité
Un livre ou une histoire doit apporter quelque chose de nouveau. Si ce que vous faites est dans la prolongation de tel ou tel ou ressemble à tel ou tel ce n’est pas la peine de le faire. Tel ou tel l’a déjà fait. Il faut être le plus original possible dans la forme et dans le fond. L’histoire ne doit ressembler à rien de connu. Le style doit être neuf. Si on dérange des imprimeries et si on abat des arbres pour avoir de la pâte à papier, c’est qu’il faut avoir quelque chose à apporter en plus avec son manuscrit.
9. La fin
Si le lecteur découvre qui est l’assassin ou comment va se terminer le livre dès le début ou le milieu, vous n’avez pas rempli votre contrat envers lui. Du coup, pour être sûr d’avoir une fin surprenante, il vaut mieux commencer par écrire la fin puis le cheminement qui empêchera de la trouver.
10. – Surprendre
Il faut surprendre à la conclusion, mais il faut toujours avoir une envie de surprendre à chaque page. Il faut que le lecteur se dise à chaque fois «ah ça… je ne m’y attendais pas». Les romains inscrivaient à l’entrée des théâtres “Stupete Gentes” qu’on pourrait traduire «Peuple préparez vous à être surpris ». Surprendre son lecteur est une politesse.
11. Ne pas vouloir faire joli
Beaucoup de romanciers surtout en France, font du joli pour le joli. Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu’il faut chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un collier. Cela fait juste un tas de jolis phrases. Pas un livre. Ils feraient mieux d’être poètes. Au moins c’est plus clair. Toute scène doit avoir une raison d’être autre que décorative. Le public n’a pas (n’a plus?) la patience de lire des descriptions de paysages de plusieurs pages ou il ne se passe rien, ni des dialogues sans informations qui n’en finissent pas. La forme ne peut pas être une finalité, la forme soutien le fond. Il faut d’abord avoir une bonne histoire ensuite à l’intérieur on peut aménager des zones décoratives, mais sans abuser de la patience du lecteur.
12. Recommencer
Ne pas avoir peur de tout recommencer. En général le premier jet est imparfait. On a donc deux choix, soit le rafistoler comme une barque dont on répare les trous dans la coque avec des bouts de bois, soit en fabriquer une autre. Ne pas hésiter à choisir la deuxième solution. Même si l’informatique et le traitement de texte autorisent toujours des rafistolages. C’est un peu comme le “master mind”. C’est parfois lorsqu’on a tout faux qu’on déduit le mieux comment faire juste. J’ai refait 120 fois “les fourmis” et franchement les premières versions n’étaient pas terribles.
13. Les lecteurs tests
Trouver des gens qui vous lisent et qui n’ont pas peur de vous dire la vérité. La plupart des gens auxquels vous donnerez votre manuscrit à lire se sentiront obligés de vous dire que c’est la 7ème merveille du monde. Cela ne coûte pas cher et ça n’engage pas ; Par contre dire à un auteur, “Ton début est trop long, et ta fin n’est pas vraissemblale” signifie souvent une fâcherie avec l’auteur. Pourtant ce sont ceux qui auront le courage de vous dire cela qui seront vos vrais aides. Et c’est à eux qu’il faudra donner en priorité vos manuscrits à lire pour avoir un avis. Vous pouvez aussi écouter les félicitations pour les scènes réussies. Mais ne soyez pas dupe. Mettez votre ego de coté. Fuyez les flatteurs qui ne sont pas capables d’expliquer pourquoi cela leur a plu.
14. Raconter à voix haute
Ne pas hésiter à raconter oralement votre histoire. Tant pis si vous prenez le risque de vous faire piquer l’idée. En le racontant oralement, vous sentez tout de suite si cela intéresse et vous vous obligez à être synthétique et efficace. Voir en direct ses lecteurs réagir à une histoire est très instructif.
15. Les personnages
Soigner les caractères des personnages principaux en faisant une fiche avec leur description physique, leur tics, leurs vêtements, leur passé, leur blessures, leurs ambitions. Prenez pour fabriquer un personnage des caractéristiques à vous ou a des amis proches. Bref, des êtres que vous connaissez un peu en profondeur. Il faut les rendre attachants et crédibles. Il faut que les gens puissent se dire “Ah oui, ce genre de personne cela me rappelle un tel”. Qu’ils se reconnaissent en eux, c’est encore mieux.
16. L’adversité
Il faut que votre héros ait un problème à régler. Plus le problème est gros plus l’interêt du lecteur est fort. L’idéal est de donner des handicaps au héros de manière a ce qu’on se dise il n’y arrivera jamais. Exemple: l’enquêteur est aveugle et le tueur est non seulement le roi de la maffia mais en plus il a des talents de télépathie et c’est quelqu’un qui a beaucoup de chance. Plus le héros est maladroit plus le méchant est fort plus on est intéressé. Le système est: l’auteur met son héros dans des problèmes que le lecteur jugera insurmontables et l’auteur sauve à chaque fois in extremis son héros d’une manière que le lecteur n’avait pas prévu.
17. Alterner les formes
Les lecteurs ont souvent des journées fatigantes, ils lisent pour se détendre, donc il faut penser à ne pas les ennuyer. Pour cela, alterner les scènes d’actions et de dialogues. Mettre le maximum de coups de théâtre inattendus. Ne pas oublier que la lecture est un plaisir et que l’objectif n’est pas que le lecteur se dise que l’auteur est doué; il doit se dire “mais qu’est-ce qui va arriver à la scène suivante”?
18. Transmettre du savoir
La fonction des livres est aussi d’apprendre des choses. La forme est un élément, mais si après avoir lu un livre un lecteur sait quelque chose qui lui permettra de nourrir les conversations ou les dîner, c’est quand même un intérêt de la lecture.
19. Aller voir sur place
Un: s’informer. Deux: réfléchir. Trois: écrire. S’informer est indispensable. On ne parlera bien d’un lieu que si on y est allé pour faire des repérages. On ne parlera bien d’un métier que si on a discuté avec une personne qui la pratique. Évidemment on peut imaginer, mais le plus on se frottera au réel, le plus on découvrira de choses et on pourra raconter d’anecdotes vrais. Et le lecteur sent tout de suite ce qui est pur délire d’auteur et ce qui est une observation réelle.
20. Avoir une volonté d’être compris par tous
Souvent les critiques parisiens taxent les auteurs qui touchent tous les publics “d’auteurs populaires”. Avec une connotation péjorative dans le mot populaire, sous entendu que si cela plaît au grand public c’est que ce n’est pas de la grande littérature. Victor Hugo se vantait d’être un auteur populaire, de même que Alexandre Dumas, Jules Verne et Flaubert. Mozart faisait de la musique populaire et s’en flattait. Tous les auteurs “non populaire” qui vivaient à la même époque ont été oubliés, qu’ils soient grand poètes, grands académiciens, grands écrivains de cours ou de salon. L’histoire les a balayés avec leurs jolies tournures de phrases et leur effets de manches. De même que tous les auteurs maudits qui revendiquaient comme un titre le fait de n’être compris que par un public restreint on en effet été effacés. Logique. Il est beaucoup plus difficile de plaire au large public qu’à un groupe de soit disant arbitres des élégances. Faire simple et clair réclame beaucoup plus de travail que de faire grandiloquent, incompréhensible, et rempli de sous entendus que l’auteur est le seul à connaître.
21. Se plaire à soi même
Pour plaire au lecteur il faut se mettre à sa place. Ecrire des livres qu’on aurait envie de lire si ce n’étaient pas les nôtres. Ne jamais se dire “j’écris cela, ça ne me plaît pas, mais ça leur plaira”. On est soi-même la première personne qui doit s’amuser à lire le livre. Répétons-le: S’il n’y a pas de plaisir d’écriture, il ne peut pas y avoir de plaisir de lecture ensuite.
22. L’initiation des personnages
Une bonne histoire est aussi une initiation. Au début le héros dormait sur ses lauriers ou sa fainéantise. Une situation de crise va l’obliger à s’apercevoir qu’il est beaucoup plus que ce qu’il croit. Mettre les personnages en situation de danger pour les obliger à révéler leurs talents cachés. Et le lecteur en vivant dans la peau du personnage va faire la même expérience de transformation. Un bon livre est un livre qui transforme son lecteur en le faisant se prendre pour le héros.
23. Faire des plans
Quand vous avez un bon premier jet brut, essayez de trouver une manière de le découper de l’organiser pour qu’il soit rangeable dans des chapitres. En général on organise le livre en trois actes: Début. Milieu. Fin.
Début. Le début est en général le lieu de la scène d’exposition. On découvre où ça se passe. Quand ça se passe. Qui agit. Et le plus rapidement possible quelle est la problématique. L’idéal est de réduire au maximum le décollage du début, il faut que l’exposition soit la plus rapide possible pour que le lecteur n’attende pas avant d’être dans l’histoire.
Le milieu. Le milieu est souvent le ventre mou du livre. On prolonge la problématique, on en invente des secondaires, on gère la progression dramatique.
La fin c’est soit le coup de théâtre surprise, soit la grande explication de l’histoire cachée, soit l’apothéose.

24. Les portes ouvertes, portes fermées
Dans les scènes du début on ouvre des portes. Ce sont des problématiques: “qui a tué?”, “vont-ils s’aimer?”, et “qui est cette dame en noir qui surgit de temps en temps?”. A la fin il faudra penser à toutes les refermer. “C’est le fils du paysan qui a tué”, “ils vont s’aimer mais cela ne sera pas facile”, et “la dame en noir c’est en fait le fils caché de la concierge déguisé en femme depuis son voyage au Brésil ou il a connu l’enfer et qui recherche l’identité de son vrai père” Bien vérifier qu’il n’y ait pas de portes ouvertes béantes (soudain on ne parle plus de la dame en noir) ni de portes fermées qui n’ont pas été ouvertes (soudain un personnage révèle qui il est, mais on n’en parlait pas au début).
25. L’envoi aux éditeurs
Investir dans la photocopieuse et envoyer son manuscrit à un maximum d’éditeurs. De préférence ceux qui ont des livres qui ressemblent dans leur genre au votre. Pas la peine d’envoyer de la science-fiction à un éditeur de poésie.
26. Les lettres de refus
Les éditeurs reçoivent une centaine de manuscrits par jour. Donc ils ont du mal à distinguer le bon grain de l’ivraie. Ils utilisent pour cela des lecteurs, soit des professeurs de français à la retraite, soit des étudiants, soit des amis qui aiment lire qui leur font ensuite des fiches. Ces gens sont souvent payés pour ce travail mais font aussi parfois cela par passion personnelle. Si les éditeurs vous répondent tous que cela ne leur plaît pas, ce n’est pas définitif. Essayez de savoir pourquoi en les appelant et refaites un manuscrit en tenant compte de leurs remarques. Ou s’il n’y a pas de remarque, refaites quand même un manuscrit en tenant compte de l’avis de vos lecteurs négatifs ou de votre propre évolution. Puis renvoyer, il y a quand même une part de chance en renvoyant au même éditeur vous pouvez finir par tomber sur quelqu’un qui vous comprenne et vous défende dans les comités de lecture (personnellement j’ai renvoyé mon manuscrit pendant 6 ans à tous les éditeurs et j’ai reçu trois lettres de refus de mon éditeur actuel). Le découragement fait partie du mode de sélection.
27. Ne pas faire d’édition à compte d’auteur
Si personne n’est prêt à payer pour votre manuscrit c’est peut être parce qu’il n’est pas bon. Cette hypothèse ne doit jamais être oubliée. Tout le monde n’a pas forcément de talent. Et ce n’est pas grave. A la limite tentez la musique. Par contre les éditeurs qui proposent de vous de payer pour vous éditer ne distribuent que peu ou pas votre livre. Vous allez juste vous retrouver avec un tas de bouquins dans votre chambre à distribuer à vos amis. Autant faire vous même vos tirages avec votre ordinateur.