mercredi 11 avril 2012

La précarité à la télévision: de qui se moque-t-on?

La précarité et la crise du logement : deux graves sujets de société, habituellement exponentiels de l’actualité ces dernières années. Au travers de talk-shows divers, le petit écran s’en préoccupe de plus en plus abondamment. Implication réelle ou course à l’audimat ? Les ingrédients pour un « charity business » réussi sont toujours les mêmes : larmes, identification, mise à nu intégrale de l’intime. Ces programmes sont affligeants. Une telle médiatisation ne cherche-t-elle pas à faire perdre à ces personnes le peu de dignité qui leur reste ?
Depuis quelques temps, la télévision s’est autoproclamée promotrice de grandes manifestations caritatives : le Téléthon, Les Enfoirés, Sidaction,… Autant d’émissions poursuivant un même objectif : la récolte de dons pour des œuvres caritatives. La précarité est un sujet moderne. Un thème qui fédère. Super. Je n’ai rien à redire. Si ces émissions permettent formellement de soutenir des gens dans la nécessité, il n’y aurait nulle logique de s’en passer.  Mais – car il y a un mais – à la télévision, les dérives font légion. Depuis 2008 –le début de la crise – l’instabilité économique de la société est de plus en plus exhibée sur nos écrans, aucune chaîne n’y échappe. Là où les choses se compliquent, c’est au moment où l’on se met à parler de précarité dans les « talks-shows », ces émissions de divertissement durant lesquelles un animateur se consacre à un sujet bien précis avec ses invités. Les manifestations de type « Téléthon » ont pour objet d’aider les indigents en leur donnant de l’argent. Soit. Mais qu’en est-il des buts d’un talk-show ? La précarité est abondamment reprise dans ces émissions de divertissement : l’ancienne émission « Ça se discute » de Jean-Luc Delarue sur France 2, « Tous ensemble » sur TF1, « Zone Interdite » sur M6, … Il est dès lors compliqué de ne pas songer aux dividendes et à l’utilité de faire de l’audimat, deux objectifs qui règnent en maître dans toutes les grandes chaines. Car il ne faut pas le taire, la télévision est une institution poursuivant une issue très précise : engendrer du bénéfice. Et tout est pensé en fonction de cet objectif.
Raymonde vient raconter son histoire sur le plateau, et tout le monde chiale
Dans la majorité de ces productions, le principe est élémentaire : il s’agit de faire sangloter les invités en direct pour sensibiliser les téléspectateurs à l’ascension de la précarité. Ces invités sont triés avec soin : ils ne sont ni trop âgés, ni trop vilains, ni trop sans-logis non plus, ni trop abîmés. Le champ est bien déterminé. Accompagnés de leurs récits, ils doivent parvenir à émouvoir la quantité le plus étendue de téléspectateurs possible. Fréquemment, Raymonde nous parle de ses quatre gamins et de sa caravane qui brinquebale sur une roue… et tout le monde chiale. Pauvre Raymonde. Elle n’a pas une existence simple… Et Raymonde de s’étaler sur ses conditions de vie pénibles, sur son compagnon qui l’a abandonnée à la naissance du cadet, et sur sa profession qui ne la laisse récupérer que quelques instants chaque nuit. Raymonde est effectivement à plaindre. Mais doit-elle nécessairement faire part de ses difficultés au travers d’un talk-show ? Se rend-elle compte des effets que peut avoir la médiatisation ? La télévision lui offre de regagner une dignité oubliée en exposant ses maux aux yeux de tous, étonnant non ? Elle la plonge surtout fondamentalement dans l’avilissement.  Comme Raymonde, le commun qui accepte de venir témoigner le fait sans ambiguïté, en toute sincérité. Cette femme vient dans l’attente d’accomplir une utopie, d’obtenir un soutien psychologique, pécunier  ou affectif. Face à cela qu’est-ce qui motive réellement les concepteurs et présentateurs de telles retransmissions ? Sont-ils exactement dirigés par le désir de secourir ? Il n’est pas compliqué d’en sérieusement douter puisque la télévision court surtout après l’audience. Dénoncer le dénuement pour gagner de l’argent… Quel paradoxe !
Divulgation de l’intimité: les intervenants  se livrent dans les moindres détails
Les émissions de ce type se fondent toutes sur le même dispositif : le public fait connaissance avec quelques individus  sur le plateau. Suite à des accrocs de la destinée, ils ont trébuchés dans un grand dénuement et, la gorge étranglée, ils viennent exhiber leurs peines sur le devant de la scène. La télé fait alors appel aux pleurs, s’enlise piteusement dans le pathos. L’animateur interroge – couramment d’interrogations d’un goût plus que douteux – et les aveux pathétiques s’enchaînent. Les gros plans sur les yeux écarlates ne ratent pas. Pour que l’audimètre soit élevé, les témoins doivent s’exposer avec un faste de détails intimes sans pareil. Car de nos jours  les médias divulguent l’intime. Il faut inlassablement plus d’images et de confidences. Sous l’endoctrinement de la télé-réalité, les talk-shows s’imaginent à présent soumis à s’orienter vers des sujets plus proches de l’intime ou de la simple nudité. Mais les témoignages ne contentent plus. Les caméras infiltrent  les sphères privées et offrent d’authentiques reportages. Ils s’insinuent au cœur de l’infortune des gens et mettent en scène les malheureux présents sur le plateau. Ce qui importe, c’est d’exhiber des visages, des cas appropriés, des parcours solitaires, pour que le spectateur puisse se reconnaître au travers de ces tragédies. Le présentateur n’a jamais recours aux statistiques ou autres données fiables et les réponses collectives sont prohibées. Ces chroniques sont inévitablement escortées de ralentis et de musique pompeuse. Et les cœurs sensibles que nous sommes sont émus par tant de pauvreté. Pauvre Raymonde…
Des comédiens et des reportages falsifiés?
Couramment, ces immersions dans la vie – exposées comme patentes – se confirment être le fruit d’importantes scénarisations. Des cas de recours à des personnages fictifs ou semi-fictionnalisés y ont parfois même été attestés. Cela laisse présumer que les reportages corrompus sont, en évidence, plus nombreux qu’on ne le soupçonne… Néanmoins le public convole, à la fois voyeur et exhibitionniste. Voyeur, car il contemple , se délecte de sa chance en comparaison de cette pauvre Raymonde à la télévision. Exhibitionniste, car certains êtres n’hésitent pas à venir révéler leurs conditions ou difficultés de vie. Strip-tease pour le moins méprisable…
Des numéros de téléphone surtaxés
De retour sur le plateau, l’animateur finit alors d’achever les meilleures volontés en posant des questions plus qu’indiscrètes. Et là, tout le monde fond. Cette mise en scène n’est-elle pas au plus haut point avilissante pour les individus que l’on expose de cette manière ? Les téléspectateurs, amollis et charitables, ne sont-ils pas grugés aussi ? L’un de ces programmes était escorté d’un appel à la solidarité téléphonique. Durant celle-ci, les téléspectateurs pouvaient appeler un numéro de téléphone surtaxé pour offrir leur soutien aux personnes en situation d’infortune, présentes sur le plateau. En fait, ces émissions  créent une sorte de faux semblant, comme une histoire, un conte de fées contemporain : la perception que tous les problèmes seront réglés d’un simple coup de baguette magique. Or c’est tout naturellement chimérique… En résumé, dans notre société dite de consommation, le miroir aux alouettes ne devient-il pas calife à la place du calife ?

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