La précarité et la crise du logement : deux graves sujets de
société, habituellement exponentiels de l’actualité ces dernières
années. Au travers de talk-shows divers, le petit écran s’en préoccupe
de plus en plus abondamment. Implication réelle ou course à l’audimat ?
Les ingrédients pour un « charity business » réussi sont toujours les
mêmes : larmes, identification, mise à nu intégrale de l’intime. Ces
programmes sont affligeants. Une telle médiatisation ne cherche-t-elle
pas à faire perdre à ces personnes le peu de dignité qui leur reste ?
Depuis quelques temps, la télévision s’est autoproclamée promotrice
de grandes manifestations caritatives : le Téléthon, Les Enfoirés,
Sidaction,… Autant d’émissions poursuivant un même objectif : la récolte
de dons pour des œuvres caritatives. La précarité est un sujet moderne.
Un thème qui fédère. Super. Je n’ai rien à redire. Si ces émissions
permettent formellement de soutenir des gens dans la nécessité, il n’y
aurait nulle logique de s’en passer. Mais – car il y a un mais – à la
télévision, les dérives font légion. Depuis 2008 –le début de la crise –
l’instabilité économique de la société est de plus en plus exhibée sur
nos écrans, aucune chaîne n’y échappe. Là où les choses se compliquent,
c’est au moment où l’on se met à parler de précarité dans les
« talks-shows », ces émissions de divertissement durant lesquelles un
animateur se consacre à un sujet bien précis avec ses invités. Les
manifestations de type « Téléthon » ont pour objet d’aider les
indigents en leur donnant de l’argent. Soit. Mais qu’en est-il des buts
d’un talk-show ? La précarité est abondamment reprise dans ces émissions
de divertissement : l’ancienne émission « Ça se discute » de Jean-Luc Delarue sur France 2, « Tous ensemble » sur TF1, « Zone Interdite
» sur M6, … Il est dès lors compliqué de ne pas songer aux dividendes
et à l’utilité de faire de l’audimat, deux objectifs qui règnent en
maître dans toutes les grandes chaines. Car il ne faut pas le taire, la
télévision est une institution poursuivant une issue très précise :
engendrer du bénéfice. Et tout est pensé en fonction de cet objectif.
Raymonde vient raconter son histoire sur le plateau, et tout le monde chiale
Dans la majorité de ces productions, le principe est élémentaire : il
s’agit de faire sangloter les invités en direct pour sensibiliser les
téléspectateurs à l’ascension de la précarité. Ces invités sont triés
avec soin : ils ne sont ni trop âgés, ni trop vilains, ni trop
sans-logis non plus, ni trop abîmés. Le champ est bien déterminé.
Accompagnés de leurs récits, ils doivent parvenir à émouvoir la quantité
le plus étendue de téléspectateurs possible. Fréquemment, Raymonde nous
parle de ses quatre gamins et de sa caravane qui brinquebale sur une
roue… et tout le monde chiale. Pauvre Raymonde. Elle n’a pas une
existence simple… Et Raymonde de s’étaler sur ses conditions de vie
pénibles, sur son compagnon qui l’a abandonnée à la naissance du cadet,
et sur sa profession qui ne la laisse récupérer que quelques instants
chaque nuit. Raymonde est effectivement à plaindre. Mais doit-elle
nécessairement faire part de ses difficultés au travers d’un talk-show ?
Se rend-elle compte des effets que peut avoir la médiatisation ? La
télévision lui offre de regagner une dignité oubliée en exposant ses
maux aux yeux de tous, étonnant non ? Elle la plonge surtout
fondamentalement dans l’avilissement. Comme Raymonde, le commun qui
accepte de venir témoigner le fait sans ambiguïté, en toute sincérité.
Cette femme vient dans l’attente d’accomplir une utopie, d’obtenir un
soutien psychologique, pécunier ou affectif. Face à cela qu’est-ce qui
motive réellement les concepteurs et présentateurs de telles
retransmissions ? Sont-ils exactement dirigés par le désir de secourir ?
Il n’est pas compliqué d’en sérieusement douter puisque la télévision
court surtout après l’audience. Dénoncer le dénuement pour gagner de
l’argent… Quel paradoxe !
Divulgation de l’intimité: les intervenants se livrent dans les moindres détails
Les émissions de ce type se fondent toutes sur le même dispositif :
le public fait connaissance avec quelques individus sur le plateau.
Suite à des accrocs de la destinée, ils ont trébuchés dans un grand
dénuement et, la gorge étranglée, ils viennent exhiber leurs peines sur
le devant de la scène. La télé fait alors appel aux pleurs, s’enlise
piteusement dans le pathos. L’animateur interroge – couramment
d’interrogations d’un goût plus que douteux – et les aveux pathétiques
s’enchaînent. Les gros plans sur les yeux écarlates ne ratent pas. Pour
que l’audimètre soit élevé, les témoins doivent s’exposer avec un faste
de détails intimes sans pareil. Car de nos jours les médias divulguent
l’intime. Il faut inlassablement plus d’images et de confidences. Sous
l’endoctrinement de la télé-réalité, les talk-shows s’imaginent à
présent soumis à s’orienter vers des sujets plus proches de l’intime ou
de la simple nudité. Mais les témoignages ne contentent plus. Les
caméras infiltrent les sphères privées et offrent d’authentiques
reportages. Ils s’insinuent au cœur de l’infortune des gens et mettent
en scène les malheureux présents sur le plateau. Ce qui importe, c’est
d’exhiber des visages, des cas appropriés, des parcours solitaires, pour
que le spectateur puisse se reconnaître au travers de ces tragédies. Le
présentateur n’a jamais recours aux statistiques ou autres données
fiables et les réponses collectives sont prohibées. Ces chroniques sont
inévitablement escortées de ralentis et de musique pompeuse. Et les
cœurs sensibles que nous sommes sont émus par tant de pauvreté. Pauvre
Raymonde…
Des comédiens et des reportages falsifiés?
Couramment, ces immersions dans la vie – exposées comme patentes – se
confirment être le fruit d’importantes scénarisations. Des cas de
recours à des personnages fictifs ou semi-fictionnalisés y ont parfois
même été attestés. Cela laisse présumer que les reportages corrompus
sont, en évidence, plus nombreux qu’on ne le soupçonne… Néanmoins le
public convole, à la fois voyeur et exhibitionniste. Voyeur, car il
contemple , se délecte de sa chance en comparaison de cette pauvre
Raymonde à la télévision. Exhibitionniste, car certains êtres n’hésitent
pas à venir révéler leurs conditions ou difficultés de vie. Strip-tease
pour le moins méprisable…
Des numéros de téléphone surtaxés
De retour sur le plateau, l’animateur finit alors d’achever les
meilleures volontés en posant des questions plus qu’indiscrètes. Et là,
tout le monde fond. Cette mise en scène n’est-elle pas au plus haut
point avilissante pour les individus que l’on expose de cette manière ?
Les téléspectateurs, amollis et charitables, ne sont-ils pas grugés
aussi ? L’un de ces programmes était escorté d’un appel à la solidarité
téléphonique. Durant celle-ci, les téléspectateurs pouvaient appeler un
numéro de téléphone surtaxé pour offrir leur soutien aux personnes en
situation d’infortune, présentes sur le plateau. En fait, ces émissions
créent une sorte de faux semblant, comme une histoire, un conte de fées
contemporain : la perception que tous les problèmes seront réglés d’un
simple coup de baguette magique. Or c’est tout naturellement chimérique…
En résumé, dans notre société dite de consommation, le miroir aux
alouettes ne devient-il pas calife à la place du calife ?
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