1. – Le désir
Ecrire? Au
commencement est le désir. Se demander pourquoi on a envie d’écrire. Si
c’est pour faire une psychanalyse par écrit (et donc économiser 25 ans
et 100 000 euros) mieux vaut renoncer. Si c’est pour gagner de l’argent
ou avoir de la gloire, ou passer à la télévision ou épater sa maman,
renoncer. La seule motivation honorable me semble être: parce que l’acte
d’écrire, de fabriquer un monde, de faire vivre des personnages est
déjà une nécessité et un plaisir en soi (on peut aussi admettre comme
motivation: épater une fille dont on est amoureux).
2. – Les handicaps
Le principal
problème de l’écriture, c’est que c’est un acte solitaire absolu. On est
seul avec sa feuille et soi même. Si on a rien à dire aux autres ni à
se dire à soi même, l’écriture ne va que vous faire mesurer ce vide
intérieur. Désolé. Il n’y a pas d’acte qui ne soit pas avec des
contreparties. Si vous devenez écrivain professionnel «sérieux »
préparez vous à passer au moins 5 heures par jour enfermé seul devant un
ordinateur, une machine à écrire ou un calepin. Vous en sentez-vous
capable?
3. – Un artisanat
On dit que pour
réussir il faut trois choses: le talent, le travail et la chance. Mais
que deux suffisent. Talent plus travail, on n’a pas besoin de chance.
Talent plus chance, on n’a pas besoin de travail. Travail plus chance,
on a pas besoin de talent. Vu qu’on ne peut pas agir sur la chance,
mieux vaut donc le talent et le travail.
Comment savoir si on a le talent…? En général les gens qui ont le talent
d’écrire ont déjà pris l’habitude de raconter des histoires à leur
entourage. Ils prennent plaisir à relater des événements vécus ou lus,
et naturellement on a envie de les écouter. Ce n’est pas obligatoire
mais c’est un premier signe. Souvent les gens qui racontent bien les
blagues finissent par comprendre les mécanismes d’avancée d’une intrigue
et d’une chute. La blague est l’haïku du roman. D’ailleurs tout bon
roman doit pouvoir se résumer à une blague.
4. Lire
On doit lire le
genre de livres qu’on a envie d’écrire. Ne serait-ce que pour savoir ce
que les autres auteurs, confrontés aux mêmes problèmes, ont fait. On
doit aussi lire les livres des genres qu’on n’aime pas forcément ne
serait ce que pour savoir ce qu’on ne veut pas faire.
5. Se trouver un maître d’écriture
Se trouver un maître
ne veut pas dire copier, ni plagier. Cela veut dire être dans l’esprit,
la liberté, la manière de développer les histoires de tel ou tel. Il
n’y a pas de contradictions avec la loi un peu plus bas sur
l’originalité. Lire peut vous permettre de décomposer les structures
comme si on démontait un moteur de voiture Mazeratti pour voir comment
c’est fait. Cela ne vous empêche pas de construire autrement une
Lamborgini.
6. Accepter le statut d’artisan
Ecrire est un
artisanat. Il faut avoir le goût à ça, puis l’entretenir régulièrement.
Pas de bon écrivain sans rythme de travail régulier. Même si c’est une
fois par semaine. Ensuite on est tout le temps à l’école. Chaque livre
va nous enseigner un petit truc nouveau dans la manière de faire les
dialogues, le découpage, de poser vite un personnage, de créer un effet
de suspense. C’est ça l’artisanat. Surtout ne vous laissez pas
impressionner par les passages des écrivains à la télévision ou les
interviews de ces écrivains… Ce ne sont que des attitudes. Le vrai
artisanat ne peut pas être montré là-bas. Et n’oubliez pas que ce n’est
pas parce qu’un auteur passe bien à la télé ou est beau ou souriant que
c’est un bon artisan. C’est juste un bon type qui passe à la télé dans
le rôle d’écrivain. En général plus ils sont sérieux, plus ils
impressionnent. La seule manière de savoir ce que vaut un écrivain est
de le lire. La seule manière de savoir ou vous en êtes dans votre
artisanat est de demander à vos lecteurs ce qu’ils pensent de vos
livres.
7. L’inspiration
En fait, bien
souvent, l’inspiration vient d’une résilience. On souffre dans sa vie
donc on a besoin d’en parler par écrit pour prendre le monde à témoin.
Par exemple quelqu’un vous a fait du mal; vous ne vous vengez pas par
des actes, vous vous vengez par écrit en fabriquant une poupée à son
effigie et en y plantant des aiguilles d’intrigue. A la fin le héros
casse la figure à la poupée à l’effigie de votre adversaire. On dit que
les gens heureux n’ont pas d’histoire. Je le crois. Si on est
complètement heureux satisfait de tout ce qu’on a déjà pourquoi se
lancer dans l’aventure hasardeuse de l’écriture ? A la limite je conçois
qu’une fois qu’on est écrivain professionnel l’écriture devienne en soi
une sorte de quête du graal, du livre parfait, mais là encore c’est une
frustration à régler. Donc une souffrance. Oui dans l’écriture il y a
forcément une vengeance contre quelque chose ou quelqu’un. Ou en tout
cas un défi à relever.
8. – L’originalité
Un livre ou une
histoire doit apporter quelque chose de nouveau. Si ce que vous faites
est dans la prolongation de tel ou tel ou ressemble à tel ou tel ce
n’est pas la peine de le faire. Tel ou tel l’a déjà fait. Il faut être
le plus original possible dans la forme et dans le fond. L’histoire ne
doit ressembler à rien de connu. Le style doit être neuf. Si on dérange
des imprimeries et si on abat des arbres pour avoir de la pâte à papier,
c’est qu’il faut avoir quelque chose à apporter en plus avec son
manuscrit.
9. La fin
Si le lecteur
découvre qui est l’assassin ou comment va se terminer le livre dès le
début ou le milieu, vous n’avez pas rempli votre contrat envers lui. Du
coup, pour être sûr d’avoir une fin surprenante, il vaut mieux commencer
par écrire la fin puis le cheminement qui empêchera de la trouver.
10. – Surprendre
Il faut surprendre à
la conclusion, mais il faut toujours avoir une envie de surprendre à
chaque page. Il faut que le lecteur se dise à chaque fois «ah ça… je ne
m’y attendais pas». Les romains inscrivaient à l’entrée des théâtres
“Stupete Gentes” qu’on pourrait traduire «Peuple préparez vous à être
surpris ». Surprendre son lecteur est une politesse.
11. Ne pas vouloir faire joli
Beaucoup de
romanciers surtout en France, font du joli pour le joli. Ils enfilent
les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu’il faut
chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un
collier. Cela fait juste un tas de jolis phrases. Pas un livre. Ils
feraient mieux d’être poètes. Au moins c’est plus clair. Toute scène
doit avoir une raison d’être autre que décorative. Le public n’a pas
(n’a plus?) la patience de lire des descriptions de paysages de
plusieurs pages ou il ne se passe rien, ni des dialogues sans
informations qui n’en finissent pas. La forme ne peut pas être une
finalité, la forme soutien le fond. Il faut d’abord avoir une bonne
histoire ensuite à l’intérieur on peut aménager des zones décoratives,
mais sans abuser de la patience du lecteur.
12. Recommencer
Ne pas avoir peur de
tout recommencer. En général le premier jet est imparfait. On a donc
deux choix, soit le rafistoler comme une barque dont on répare les trous
dans la coque avec des bouts de bois, soit en fabriquer une autre. Ne
pas hésiter à choisir la deuxième solution. Même si l’informatique et le
traitement de texte autorisent toujours des rafistolages. C’est un peu
comme le “master mind”. C’est parfois lorsqu’on a tout faux qu’on déduit
le mieux comment faire juste. J’ai refait 120 fois “les fourmis” et
franchement les premières versions n’étaient pas terribles.
13. Les lecteurs tests
Trouver des gens qui
vous lisent et qui n’ont pas peur de vous dire la vérité. La plupart
des gens auxquels vous donnerez votre manuscrit à lire se sentiront
obligés de vous dire que c’est la 7ème merveille du monde. Cela ne coûte
pas cher et ça n’engage pas ; Par contre dire à un auteur, “Ton début
est trop long, et ta fin n’est pas vraissemblale” signifie souvent une
fâcherie avec l’auteur. Pourtant ce sont ceux qui auront le courage de
vous dire cela qui seront vos vrais aides. Et c’est à eux qu’il faudra
donner en priorité vos manuscrits à lire pour avoir un avis. Vous pouvez
aussi écouter les félicitations pour les scènes réussies. Mais ne soyez
pas dupe. Mettez votre ego de coté. Fuyez les flatteurs qui ne sont pas
capables d’expliquer pourquoi cela leur a plu.
14. Raconter à voix haute
Ne pas hésiter à
raconter oralement votre histoire. Tant pis si vous prenez le risque de
vous faire piquer l’idée. En le racontant oralement, vous sentez tout de
suite si cela intéresse et vous vous obligez à être synthétique et
efficace. Voir en direct ses lecteurs réagir à une histoire est très
instructif.
15. Les personnages
Soigner les
caractères des personnages principaux en faisant une fiche avec leur
description physique, leur tics, leurs vêtements, leur passé, leur
blessures, leurs ambitions. Prenez pour fabriquer un personnage des
caractéristiques à vous ou a des amis proches. Bref, des êtres que vous
connaissez un peu en profondeur. Il faut les rendre attachants et
crédibles. Il faut que les gens puissent se dire “Ah oui, ce genre de
personne cela me rappelle un tel”. Qu’ils se reconnaissent en eux, c’est
encore mieux.
16. L’adversité
Il faut que votre
héros ait un problème à régler. Plus le problème est gros plus l’interêt
du lecteur est fort. L’idéal est de donner des handicaps au héros de
manière a ce qu’on se dise il n’y arrivera jamais. Exemple: l’enquêteur
est aveugle et le tueur est non seulement le roi de la maffia mais en
plus il a des talents de télépathie et c’est quelqu’un qui a beaucoup de
chance. Plus le héros est maladroit plus le méchant est fort plus on
est intéressé. Le système est: l’auteur met son héros dans des problèmes
que le lecteur jugera insurmontables et l’auteur sauve à chaque fois in
extremis son héros d’une manière que le lecteur n’avait pas prévu.
17. Alterner les formes
Les lecteurs ont
souvent des journées fatigantes, ils lisent pour se détendre, donc il
faut penser à ne pas les ennuyer. Pour cela, alterner les scènes
d’actions et de dialogues. Mettre le maximum de coups de théâtre
inattendus. Ne pas oublier que la lecture est un plaisir et que
l’objectif n’est pas que le lecteur se dise que l’auteur est doué; il
doit se dire “mais qu’est-ce qui va arriver à la scène suivante”?
18. Transmettre du savoir
La fonction des
livres est aussi d’apprendre des choses. La forme est un élément, mais
si après avoir lu un livre un lecteur sait quelque chose qui lui
permettra de nourrir les conversations ou les dîner, c’est quand même un
intérêt de la lecture.
19. Aller voir sur place
Un: s’informer.
Deux: réfléchir. Trois: écrire. S’informer est indispensable. On ne
parlera bien d’un lieu que si on y est allé pour faire des repérages. On
ne parlera bien d’un métier que si on a discuté avec une personne qui
la pratique. Évidemment on peut imaginer, mais le plus on se frottera au
réel, le plus on découvrira de choses et on pourra raconter d’anecdotes
vrais. Et le lecteur sent tout de suite ce qui est pur délire d’auteur
et ce qui est une observation réelle.
20. Avoir une volonté d’être compris par tous
Souvent
les critiques parisiens taxent les auteurs qui touchent tous les
publics “d’auteurs populaires”. Avec une connotation péjorative dans le
mot populaire, sous entendu que si cela plaît au grand public c’est que
ce n’est pas de la grande littérature. Victor Hugo se vantait d’être un
auteur populaire, de même que Alexandre Dumas, Jules Verne et Flaubert.
Mozart faisait de la musique populaire et s’en flattait. Tous les
auteurs “non populaire” qui vivaient à la même époque ont été oubliés,
qu’ils soient grand poètes, grands académiciens, grands écrivains de
cours ou de salon. L’histoire les a balayés avec leurs jolies tournures
de phrases et leur effets de manches. De même que tous les auteurs
maudits qui revendiquaient comme un titre le fait de n’être compris que
par un public restreint on en effet été effacés. Logique. Il est
beaucoup plus difficile de plaire au large public qu’à un groupe de soit
disant arbitres des élégances. Faire simple et clair réclame beaucoup
plus de travail que de faire grandiloquent, incompréhensible, et rempli
de sous entendus que l’auteur est le seul à connaître.
21. Se plaire à soi même
Pour plaire au
lecteur il faut se mettre à sa place. Ecrire des livres qu’on aurait
envie de lire si ce n’étaient pas les nôtres. Ne jamais se dire “j’écris
cela, ça ne me plaît pas, mais ça leur plaira”. On est soi-même la
première personne qui doit s’amuser à lire le livre. Répétons-le: S’il
n’y a pas de plaisir d’écriture, il ne peut pas y avoir de plaisir de
lecture ensuite.
22. L’initiation des personnages
Une bonne histoire
est aussi une initiation. Au début le héros dormait sur ses lauriers ou
sa fainéantise. Une situation de crise va l’obliger à s’apercevoir qu’il
est beaucoup plus que ce qu’il croit. Mettre les personnages en
situation de danger pour les obliger à révéler leurs talents cachés. Et
le lecteur en vivant dans la peau du personnage va faire la même
expérience de transformation. Un bon livre est un livre qui transforme
son lecteur en le faisant se prendre pour le héros.
23. Faire des plans
Quand vous avez un
bon premier jet brut, essayez de trouver une manière de le découper de
l’organiser pour qu’il soit rangeable dans des chapitres. En général on
organise le livre en trois actes: Début. Milieu. Fin.
Début. Le début est en général le lieu de la scène
d’exposition. On découvre où ça se passe. Quand ça se passe. Qui agit.
Et le plus rapidement possible quelle est la problématique. L’idéal est
de réduire au maximum le décollage du début, il faut que l’exposition
soit la plus rapide possible pour que le lecteur n’attende pas avant
d’être dans l’histoire.
Le milieu. Le milieu est souvent le ventre mou du
livre. On prolonge la problématique, on en invente des secondaires, on
gère la progression dramatique.
La fin c’est soit le coup de théâtre surprise, soit la grande explication de l’histoire cachée, soit l’apothéose.
24. Les portes ouvertes, portes fermées
Dans les scènes du
début on ouvre des portes. Ce sont des problématiques: “qui a tué?”,
“vont-ils s’aimer?”, et “qui est cette dame en noir qui surgit de temps
en temps?”. A la fin il faudra penser à toutes les refermer. “C’est le
fils du paysan qui a tué”, “ils vont s’aimer mais cela ne sera pas
facile”, et “la dame en noir c’est en fait le fils caché de la concierge
déguisé en femme depuis son voyage au Brésil ou il a connu l’enfer et
qui recherche l’identité de son vrai père” Bien vérifier qu’il n’y ait
pas de portes ouvertes béantes (soudain on ne parle plus de la dame en
noir) ni de portes fermées qui n’ont pas été ouvertes (soudain un
personnage révèle qui il est, mais on n’en parlait pas au début).
25. L’envoi aux éditeurs
Investir dans la
photocopieuse et envoyer son manuscrit à un maximum d’éditeurs. De
préférence ceux qui ont des livres qui ressemblent dans leur genre au
votre. Pas la peine d’envoyer de la science-fiction à un éditeur de
poésie.
26. Les lettres de refus
Les éditeurs
reçoivent une centaine de manuscrits par jour. Donc ils ont du mal à
distinguer le bon grain de l’ivraie. Ils utilisent pour cela des
lecteurs, soit des professeurs de français à la retraite, soit des
étudiants, soit des amis qui aiment lire qui leur font ensuite des
fiches. Ces gens sont souvent payés pour ce travail mais font aussi
parfois cela par passion personnelle. Si les éditeurs vous répondent
tous que cela ne leur plaît pas, ce n’est pas définitif. Essayez de
savoir pourquoi en les appelant et refaites un manuscrit en tenant
compte de leurs remarques. Ou s’il n’y a pas de remarque, refaites quand
même un manuscrit en tenant compte de l’avis de vos lecteurs négatifs
ou de votre propre évolution. Puis renvoyer, il y a quand même une part
de chance en renvoyant au même éditeur vous pouvez finir par tomber sur
quelqu’un qui vous comprenne et vous défende dans les comités de lecture
(personnellement j’ai renvoyé mon manuscrit pendant 6 ans à tous les
éditeurs et j’ai reçu trois lettres de refus de mon éditeur actuel). Le
découragement fait partie du mode de sélection.
27. Ne pas faire d’édition à compte d’auteur
Si personne n’est
prêt à payer pour votre manuscrit c’est peut être parce qu’il n’est pas
bon. Cette hypothèse ne doit jamais être oubliée. Tout le monde n’a pas
forcément de talent. Et ce n’est pas grave. A la limite tentez la
musique. Par contre les éditeurs qui proposent de vous de payer pour
vous éditer ne distribuent que peu ou pas votre livre. Vous allez juste
vous retrouver avec un tas de bouquins dans votre chambre à distribuer à
vos amis. Autant faire vous même vos tirages avec votre ordinateur.
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