jeudi 7 juin 2012

3. Un Calvaire?



Mes yeux se sont donc accrochés à cette chapelle, datée de 1529. Mon regard s’est suspendu à ce calvaire derrière sa grille ourlée. La course du temps a suspendu un instant son vol au filigrane de ses tombeaux nombreux, accorts cénotaphes embellissant ses abords de dentelle mortuaire. Non que ce catafalque soit éclatant, au contraire. Sa restauration souligne une bienveillance manifeste mais malhabile. Peut-être est-ce cette maladresse qui me donne envie de creuser le sujet. La gaucherie touchante de la bonne volonté rurale, une détermination poignante à préserver un bien ni ostentatoire ni singulier dont l’importance ne tient qu’au titre d’artefact de la vie locale.

On aurait pu détruire ce qui subsiste de cet édifice lors de la construction de la chaussée vers Luxembourg, mais pour une fois « on » a décidé de le protéger. Des fois j’aime bien « on ».



Son architecture rappelle celle de tant d’autres, composée de voutes d’ogives, en berceau, à lunettes, son plafond rehaussé de pans coupés, bordé d’un toit d’ardoises aux longues pentes croupies. La banalité d’un chœur à chevet polygonal trône en toute humilité, les sculptures aux ornements végétaux sont celles que l’on croise communément. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Pourtant…



Une épigraphe sur la porte « construite en 1529 sur l’autorisation d’Antoine, duc de Bar et de Lorraine » fait référence à la présence de ces ducs à Longwy. Je ne peux dès lors m’empêcher de méditer sur le destin de la Lotharingie, histoire riche par excellence.

Je m’étonne de découvrir que Longwy fut si concernée et surtout de si près par ces ducs.

Me voici sur les marches de cette chapelle essayant de m’imaginer le visage de la ville au 15ème ou 16ème. Difficile de prime abord. Je me surprends à dessiner des portraits aux ombres qui ont gravis ces mêmes marches il y a près de 500 ans.

J’imagine ces échines courbées par la dévotion, les bourgeois enrobés côtoyant le vilain en ce lieu de culte.

Ainsi l’importance de ce bourg serait plus prédominante que je ne l’envisageais ? J’aurais juré Metz bien sûr, Nancy, Thionville, Sierck… Mais Longwy… Je n’ai jamais rien lu sur le sujet dans les communications culturelles clairsemées de la municipalité. Et je me jure bien sûr d’approfondir la question. Il me tarde maintenant de rentrer chez moi et pouvoir fureter sur internet.



Mais revenons à ce calvaire.

Base Mérimée… ( Youpla boum).

Je tape Longwy sur mon clavier et le prodige de la technique me laisse une fois encore admirative. Pour la génération qui est la mienne, éduquée à devoir partir à la pêche aux informations dans les bibliothèques poussiéreuses, c’est comme un petit miracle qui se reproduit à chaque fois. Et ce sont bien les photos de « mon calvaire » que j’ai sous les yeux.




Des clichés en noir et blanc comme il est recommandé dans la procédure conservatoire de l’inventaire général du patrimoine culturel, car plus résistants aux outrages du temps.



Je griffonne sur le carnet à ma droite :

Blablabla… calcaire… j’avais vu juste… déplacé à plusieurs reprises… dimensions… manque la Vierge et St Jean qui entouraient le christ…inscription gothique illisible… probablement daté du … 16eme ?

Voilà une date qui m’interpelle et par laquelle je ne suis pas convaincue.

D’abord en raison de son style et des éléments qui le composent. Je fronce les sourcils et me demande sur quoi ils se basent pour une telle hypothèse hormis la date de construction de ce qui fut en son temps l’église de Notre Dame du Mont Carmel pour devenir cette chapelle… je poursuis.

Style néogothique. Nous sommes d’accord. Mais ce que je comprends moins encore c’est la raison qui pousserait un artisan de la Renaissance à user de l’apparence gothique consommé pour la création de cette crucifixion alors que ce style était fini et surtout fortement décrié à cette époque.

On crachait en effet sur le gothique, style issu de l’âge sombre, le moyen-âge, considéré comme barbare et répugnant aux yeux des renaissants. Ça me parait difficile à croire.

Même si l’on envisage l’hypothèse d’une ignorance des nouveaux mouvements artistiques dans la région, ça me parait difficilement vraisemblable.

L’artiste en question aurait-il pu être coupé du monde, des modes et des mouvances à ce point ? Et même si c’était le cas, et si on avance l’idée que cet artisan était extravagant, troglodyte et ermite, et qu’il ait crée ce calvaire dans un style hors d’âge, personne n’en aurait voulu, et encore moins le mettre à la vue de tous. Ce serait trop la honte.

Puis l’hypothèse d’un manque de renseignement artistique n’est pas très cohérente non plus. Longwy était trop bien placée sur la route qui reliait les artistes du nord, en particulier d’Anvers, à l’Italie pour être épargnée de toute information. Ces artistes se déplaçaient continuellement pour échanger leur savoir-faire et apprendre les uns des autres les évolutions techniques et les tendances. À tel point que j’en arrive parfois à me demander si le bouleversement artistique de la Renaissance n’est pas flamand plus italien. Cette théorie ne me paraît donc pas vraisemblable.

Certes en France, au sujet de l’architecture on note un retard tangible au regard de l’évolution artistique picturale à la période charnière de la fin du moyen-âge et de la Renaissance artistique. Couramment le style gothique est encore usité, spécialement pour les édifices religieux, mais du gothique flamboyant dont on ne retrouve aucune trace du caractère ostentatoire de cette sculpture. On peut pourtant remarquer que la statuaire a suivi la même mouvance tardive, surtout celle qui a vocation religieuse. Mais même. Ça me laisse dubitative… N’oublions pas que des artistes tels que Michel Ange sont du 15ème et ont révolutionné les styles et les approches. Une simple comparaison avec la statuaire de l’époque suffit à créer le doute.

On y trouve en effet bien plus de finesse et d’expressivité dans les corps et les visages. Cet aspect figé que conserve le calvaire demeure une caractéristique très spécifique du moyen-âge. Donc je pense non à la Renaissance, non au 16 ème, non au 15 ème mais bien le 14ème tout au plus.



Mais pour en être certaine il me faudra me pencher plus avant sur les particularités culturelles locales, m’intéresser à l’histoire de Longwy me permettra certainement d’affirmer ou infirmer l’idée qu’il s’agissait d’une enclave à ce point coupée du monde.



Et les hiéroglyphes ? Vous les voyez ? Cette foultitude de bas-reliefs en bas sur le fût ?



On y découvre des tenailles, marteau, griffes et le serpent insidieux, icône de l’incarnation du mal, qui rampe sur la gauche, vous le voyez ? Ils me rappellent étrangement ceux que l’on trouve depuis l’antiquité pour imager les instruments de la Passion du Christ. Mais cet usage ancestral était parfaitement exclu au 16eme ! Le mystère se corse et ma conviction se nourrit pendant que mes talons claquent sur le bitume du chemin du retour.

Ainsi, une bête curiosité poussée au bout de la rue me laisse deviner que cet édifice n'est que la partie émergée de l'histoire de cette ville dont les éléments illustrent une trame plus globale: La Lotharingie, les comtes de Bar et ducs de Lorraine successifs avaient fait de cette ville l'un de leurs fiefs principaux.

Cette histoire promet d’être alléchante…


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